[RP] Journal de voyage

Messages : 55 Date d'inscription : 30/08/2008 Localisation : Sémur

Castres, 12 mars 1457

J'écris mes premiers mots dans ce journal.
Il fut autrefois celui d'un voyageur anglais, puis tomba dans les mains d'un écossais. Ce dernier s'installa en France, et me le donna dans une taverne à Cosne, pour améliorer ma lecture, et pour y écrire mes propres aventures. Jusqu'ici, je le gardais dans ma besace, relique à ne sortir qu'en taverne lorsque le temps est long, ou le soir à la lumière d'une bougie. Je l'ai lu et relu, sans jamais m'en lasser. Mais n'ai jamais écrit.

Aujourd'hui le temps se fait long en taverne, mais je découvre un autre besoin. Celui de transmettre mes pensées, mes envies, à quelqu'un. A ma fille, sans doute. Car après tout ce qu'il a enduré, ce journal finira bien entre le mains de quelqu'un, encore. Mais j'espère secrètement le donner à Alycianne, ma petite Alycia, lorsque viendra pour elle le temps de suivre son propre chemin.

La taverne est vide, et seul le frottement de ma plume sur le papier se fait entendre. Je n'ai eu le temps, hier, de faire mes adieux aux Chauriens. Qu'importe, après tout le temps que j'ai passé là-bas, je doute qu'un seul se soucie de moi dans quelques semaines. Pourtant, moi, je garderai toujours en tête les fiançailles si rapides de Coeurs et de Candy, ainsi que la grossesse de celle-ci, la jeune Alethe que j'aurais tant aimé connaître davantage, sieur Talahann qui souhaitait rejoindre sa cousine, Saino toujours aussi aimable, Viny débordant d'énergie pour la ville, et une certaine Arfadette la traîtresse.

Mon époux est toujours aussi passionné par ses études, au détriment de sa famille. Pourtant, les mots "Vous êtes tout pour moi" sont tout le temps à ses lèvres. Il est très absent, mais je continue de l'aimer. Fol amour qui nous aveugle tant.
Mais il a compris, du moins je l'espère, qu'il n'a plus le droit au moindre faux-pas. J'ai fini de pardonner.

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Albi, 13 mars 1457

J'écris rapidement, posée sur un tonneau vide tandis que nous nous arrêtons pour souffler. Nous sommes partis tard ce matin et devons rattraper ce retard des quelques heures. Albi semble une ville très animée, je regrette de ne pouvoir passer en taverne. La contrée semble toujours la même, mais nous voyons les montagnes s'éloigner derrière nous.

Hier fut une soirée fort distrayante. Une dispute de famille a eut lieu. Un couple, et plusieurs enfants adoptés déjà âgés qui revendiquent leur indépendance. Et les parents qui tempêtent, s'indignent, crient, les privant de leur liberté d'agir, ainsi que de penser. Je n'ai pu arrêter ce fou rire qui m'a prise. J'espère de tout mon cœur ne pas devenir aussi butée et sotte en vieillissant, et que je n'empêcherai Alycianne de vivre comme elle l'entend.

Nous repartons, je crains qu'il ne pleuve sur la route.

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Rodez, 15 mars 1457

Les lointaines montagnes ont laissé place à une terre assez plate. La neige a fondu et les colchiques s'épanouissent.
Durant le voyage, je regardais Alycianne courir au-devant de nous. Elle commence à perdre ce pas bancal, et tient plus fermement sur ses pieds. Elle babille des phrases de plus en plus longues, et a laissé de côté ses crises de pleurs. Mais il a fallu bien vite la remettre parmi nos affaires sur la mule, la fatigue l'emportant.

On s'est arrêté hier dans la capitale, pour la nuit. Les lits de cette auberge ont été plus que les bienvenus, et nous avons savouré ces agréables couches. Nous n'avions eu de vraies paillasses, depuis notre départ, préférant nous installer dans des granges ou abris inoccupés. Rodez est une ville déserte. C'est vrai qu'elle est en pleine construction, et au lieu de la fourmilière que j'imaginais, je me retrouva seule en taverne, un pauvre parchemin pendant au mur annonçant un bal.

Hier soir nous avons mangé dans la grand-salle de l'auberge. Nous étions les seuls hôtes, et la tenancière nous regardait d'un air gêné. Un bouillon d'eau chaude et du pain nous ont rempli le ventre, et nous avons aussitôt couché la petite. Une ou deux bières après, nous l'avons rejointe.
Mais je n'ai réussi à trouver le sommeil. Assise face à la petite fenêtre, je n'ai cessé de me questionner. Si Sémur ne se révélait pas être telle que je l'escomptais ? Devrions-nous repartir ? Je savais que le mieux pour notre fille était une enfance stable, mais je ne me voyais rester dans un village, reprendre quelques postes à la mairie, retrouver cette routine lancinante. Entre moi et ma fille, que devrais-je choisir ? J'ai regardé alors ce petit être qui, je le pensais, m'avais tirée de cette lente agonie, après la mort de son frère. Je restais ainsi de bonnes heures, tournant en rond dans cette chambre ainsi que dans mon esprit.

Ce matin, les idées un peu plus claires, je remets encore à demain ces questions, ou plutôt, à dans une semaine. A ce moment là, je serais à Sémur, et pourrai y trouver les réponses, je l'espère.

Et en réfléchissant surs les trois mois derniers, je pense que j'aurais pu m'en sortir sans Alycianne. Grâce à ma volonté, j'imagine. Mais je c'est assez incertain. Et de toute façon, qui, sinon Aristote, pourrait remuer le passé ?

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Aurillac, 16 mars 1457

Nous sommes entrés dans le duché du Bourbonnais-Auvergne. Il semble foisonnant, plein d'idées et de personnes de bonne volonté, l'on n'a point l'air de s'ennuyer. C'est peut-être un endroit à connaître plus en profondeur. Les plaines ont laissé place à de petites parcelles vallonnées, et nous allons ce soir entrer dans la chaîne de volcans. Alycianne découvre les paysages les yeux émerveillés, puis s'en désintéresse bien vite. Alors que je pensai qu'elle allait se lasser de ce voyage, au contraire, malgré la fatigue, elle garde sa bonne humeur. Bonne humeur, qui, heureusement, déteint sur nous, mais aussi sur les voyageurs que l'on croise.

Aurillac semble donc sympathique, mais les portiers me refusent constamment l'entrée des tavernes, cet après-midi. Une de celle-ci, "Chez Porphyrio", contient du monde, j'entends des voix venant de l'intérieur. Mais le portier, imperturbable, me fait signe de la tête que je ne peux pas rentrer. Après avoir essayé les yeux doux et la voix roucoulante, j'ai tenté de proposer quelques écus, puis quelques bières. Mais il a gardé le visage de marbre. Et après mes tentatives désespérantes de faire conversation, j'ai finit par m'énerver, le menacer de mon épée, et le traiter de tous les noms qui me passaient par la tête. J'ai hésité à aller chercher ma fille, peut-être que devant son joli minois, il céderait, mais me suis ravisée.

Je suis donc assise, en tailleur, devant lui, en train d'écrire dans ce journal. Les yeux fixés sur moi, il regarde avec effarement ma détermination, ou plutôt mes jambes découvertes de ma houppelande. Un sourire à son attention le fait rougir. Je le tiens, le bougre. Quoi qu'il faudrait quelque chose de plus pour le décider à me faire entrer... Je mets une croix sur les pleurs, mais ai ma petite idée. Ni une ni deux, je rassemble mes jambes devant moi, les laissant un peu plus se dévoiler au regard du sieur. Les yeux stupéfaits, il ressemble à un beau merlant frit, la bouche pendante ainsi. Il ouvre doucement la porte d'entrée, et je range donc ce journal. A moi les chopines !

- Quelques minutes plus tard... -

Au moment où j'allais entrer, une voix familière m'a appelée. Mon époux me cherchait pour que nous empaquetions nos effets, et que nous partions le plus vite possible. Je suis donc repartie, déçue de n'avoir posé un pied en taverne, pas un regard en arrière pour le portier. Nous reprenons donc la route, en direction des montagnes. Je ne sais si nous arriverons ce soir pour dormir en Murat, mais nous trouverons bien refuge pour la nuit.

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Murat, 17 mars 1457

Nous avons finalement réussi à atteindre Murat hier soir, assez tard, et après avoir trouvé bâtiment abandonné, sommes allé nous coucher sans découvrir la ville. Au petit matin, le réveil se fait un peu dur, mais nous sommes ravis de découvrir un charmant village entouré de hautes collines.

En taverne, l'on m'informe que notre prochaine étape, Clermont, est plus loin que je le pensais. Et le temps qui s'annonce mauvais, les nuages s'amoncellent au-dessus de nos têtes, et le temps farceur qui s'est nettement rafraichi.
Alors que je discutais tranquillement en taverne, un bougre est entré, a distribué quelques chopes, et après moultes glissades, s'est installé. J'ai tout d'abord cru à un sombre mendiant bien éméché, mais les tournées suivantes lancées ont montré qu'il avait plus d'argent qu'un simple mendiant. Beaucoup d'argent. Beaucoup de tournées. Et mon incapacité à les refuser.
Quelle rage, quand je m'aperçut que je n'étais capable de voyager cette nuit !

Une dame généreuse me propos la nuit dans son auberge, que j'accepta avec reconnaissance. Mon époux est déjà sur les routes, partit pour nous trouver refuge pour la nuit. Alycianne et moi, accompagnées par la vieille bourrique, allons donc poser nos affaires dans cette chambre bienvenue.
J'admire, et j'admirerai toujours ce petit être, qui me suit, sans trop de questions, se reposant juste sur moi, sur sa confiance en moi, sans savoir que c'est elle qui me tient. Et je m'en veux, je m'en voudrai toujours, de me montrer ivre et incapable devant elle. J'ai honte, et ce n'est pas le rouge habituel grimpant aux joues qui me le montre, mais cette sensation au tréfonds de moi-même qui me fait savoir que je suis une mauvaise mère. Mauvaise mère avec mon seul enfant. Mauvaise mère avec celle qui me soutient. N'est-ce donc peut-être pas parce que je me repose trop sur elle que je suis mauvaise mère ?

Alcool qui déraisonne, et qui me fait passer d'un sourire idiot à une tristesse mal cachée.
Je ferai mieux de cesser là d'écrire, et de descendre dan la salle, en bas, faire rencontrer à Alycianne d'autres personnes que moi. C'est qu'elle n'a l'occasion de faire beaucoup connaissance, et j'ai entre-aperçut deux têtes de gamins, tout à l'heure.

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Murat, 18 mars 1457

Nous avons passé hier soir une agréable soirée. Les Muratais sont des personnes très sympathiques, et ces deux journées en leur ville ont été reposantes.
Il a bel et bien neigé cette nuit, j'espère que mon époux a trouvé abri pour dormir. Nous le rejoignons ce soir, et passerons Clermont demain.

J'arrête la bière pour les derniers jours de ce voyage, je ne veux avoir encore ce genre d'aventure qui nous retarde. La tisane m'est toujours détestable, mais le miel la rend un peu plus douce. Ce breuvage me rappelle toutefois de mauvais souvenirs, du temps de ma grossesse.

Nous repartons donc, nos pas crissant sur la couche de neige. Pas après pas, nous nous rapprochons de notre destination.
J'ai toujours aimé les voyages, mais je crois encore plus les apprécier avec les imprévus. J'aimerais un jour, voyager seule, ou avec ma fille, et aller où bon me semble, à la vitesse qui me convient. Mais, pour l'instant, retourner sur Sémur reste ma priorité. Après, qui sait ?

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Quelque part entre Clermont et Montpensier, 20 mars 1457

Hier, nous nous sommes donc retrouvés en famille dans un abri de berger, où nous avons pu dîner à l'abri de la neige, qui s'était remise à tomber. Auprès d'un feu, nous avons tour à tour raconté des histoires à Alycianne, histoires que nos parents nous racontaient étant petits. Au matin, la neige a continué de tomber et ne facilitait notre route. Nous croisons régulièrement de petites armées, souvent qui se présentent comme étant défenseurs de la ville la plus proche. Les brigands ne nous ont fait de problèmes jusque là, j'espère que cela continuera. Passage à Clermont vers le midi, nous ne nous sommes presque pas arrêtés. Nous sommes ce soir dans une maison en ruine, abrités du mieux que l'on peut sous un morceau de toit de bois véreux, qui nous protège quelque peu du vent. Alycianne s'est endormie sans manger, ces deux jours de marche dans la neige et cette courte nuit ont été trop durs pour elle, malgré le fait qu'elle soit sur le dos de l'ânesse, au milieu de nos effets. Demain, je m'arrêterai avec elle à Montpensier, pour qu'elle se repose et que nous fassions provisions, tandis que Lynxtyle nous tracera le chemin, un peu en avance sur nous.
Arrivée prévue à Castelnaudary mercredi 25. Et jusqu'à ce jour, nous marchons, marchons, calés sur l'allure de la vieille bourrique portant son lourd fardeau.

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Moulins, 22 mars 1457

Progressivement, l'on passe les villes. Alycianne a été surprise de se réveiller sous une charrette, ce matin. C'est qu'hier soir nous sommes arrivées tard et elle était endormie. Je l'avais un peu réveillée, mais ce fut trop court pour qu'elle s'en souvienne. Et la charrette me semblait la seule option pour éviter de se faire réveiller par la pluie, ou la neige. Moulins, ville un peu trop calme. Mais peut-être est-ce que je ne connais pas assez bien la ville.

Nous avons croisé un homme, aujourd'hui. Ayant une bonne mémoire des visages et des noms, je l'ai reconnu. J'aurais préféré ne pas l'avoir fait. Je l'avais déjà rencontré en taverne, lors de mon voyage vers le Sud. Il était alors à la recherche d'un charmant jeune homme, qui venait de quitter justement la taverne, et qui m'avait avertie que quelqu'un le suivait, lui voulant du mal. Au manque de politesse du sieur et à ses questions répétées sur son prédécesseur, j'avais deviné qu'il était bel et bien celui dont m'avait parlé sieur Martin, que je qualifierais d'ami. Je l'avais aussitôt prévenu par une missive, évidement.
Revoir ce visage anguleux et ces yeux perçants m'a fait froid dans le dos. Je me suis alors empressée de baisser la tête de de presser le pas de l'ânesse. Je ne sais pas si lui, m'a reconnue, mais j'ai eu une belle peur. Peur pour ma fille. Car seule, j'aurais sans doute osé lever le regard et lui demander des nouvelles de sieur Martin. Mais avec Alycianne, sa sûreté importait avant tout. Alors que celle-ci levait des yeux sur moi étonnés de mon changement d'attitude, je lui caressai les cheveux alors, lui chuchotant que tout allait bien.
J'aurais bien aimé avoir mon époux auprès de moi, à ce moment là. Je ne me croyais si faible. Si vulnérable. Et mon talon d'Achille, c'est ma fille. Ma petite Alycia.

J'aime, en marchant, à me rappeler Castelnaudary. Je voudrais poser par écrit toutes les expressions toulousaines, du moins toutes celles dont je me souvienne. Car malgré tout le temps passé là-bas, je n'ai pris l'accent ni n'ai adopté de mots toulousains. Je pense que la langue de la région se rapproche de l'espagnol, ou en est.
Je revois encore leurs Donà Anyza, Bonjorn, Monsehn ou leurs fameux "Santat !". J'ai appris à l'époque qu'en certains comté l'on disait "Boulasse". Castelnaudary est en fait le nom françois pour Castelnou d'Arri, et Toulouse pour Tolosa. Mais la langue principale reste le françois, heureusement pour moi. Coms pour comte, porta-parola, Baile pour bailli, Conestable pour Connétable, Capitani, Jutge, Comisarri als Minas, Conseilhèr, tous les postes ont leur nom.
Malgré le fait que je n'ai pu pleinement apprécier le Comtat del Tolosa, peut-être que ces petits mots pourront m'informer lorsque je les aurait oubliés, ou pourront renseigner quelqu'un d'autre.

Nous entrons ce soir en Bourgogne. A-t-elle changée ?
Et dans trois jours, nous serons à Sémur. Qui y est resté ?
Je n'ai eu de nouvelles que de Bender, et c'était il y a quelques mois, il résidait à Dijon à l'époque. Je n'ai vraiment parlé de Sémur à Alycianne. C'est que j'ai remarqué que je ne lui parle pas beaucoup, à vrai dire. C'est que... Les paroles sont inutiles. Nous sommes tellement proches, tout le temps ensemble que nous nous comprenons d'un regard. J'aimerais qu'elle commence à avoir un peu plus de liberté, qu'elle rencontre d'autres enfants de son âge. Mais c'est sûr qu'en voyageant, ce n'est pas facile.
J'attends tellement de Sémur que je crains ne pouvoir qu'être déçue. Et quand cette pensée m'oppresse, je n'ai plus qu'à me dire que nous verrons bien. Nous verrons bien.

On verra bien...

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Cosne, 24 mars 1457

Lorsque nous sommes entrées en Bourgone, l'air m'a parut plus revigorant, le ciel semblait plus bleu, et les arbres bourgeonnants... Mais je ne crains que ce ne soit que la joie de rentrer au pays.
A Nevers, j'ai rencontré une femme, dame Clariana, que j'ai immédiatement appréciée, malgré son effronterie. Elle a dit peut-être passer à Sémur, j'aimerais bien la connaître davantage. Je me rends compte du nombre de gens avec qui je, ou aimerais, me lier d'amitié. Mais la vie et courte, et Sémur encore à deux jours.

Cosne. Revoir ces murs m'a fait plaisir. Revoir ces murs dans lesquels j'avais passé quelques temps. Mais à part dame Minimiu, je n'ai rencontré de vieux amis. Mon époux nous a rejoins, et nous repartons.
Demain, Sémur. Mon coeur semble prêt à éclater, ma tête bourdonne.
Du haut de ma bonne vingtaine d'années, ne suis-je donc toujours qu'une petite enfant ?

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Sur les routes, entre Autun et Nevers, 4 septembre 1457

Je reprends ce carnet, pour y confier ces questionnements qui me prennent la tête et me tordent l'esprit, et qui m'empêchent de réfléchir sainement. Suis-je la seule, à me torturer ainsi avant de prendre une décision ?
La peur, sans cesse me guette. Sous chaque dilemme elle se cache, et me prend à la gorge le soir, quand seule dans mon lit je me désespère à dormir. Pourtant, quand bien même le sommeil me prend, ce n'est que pour m'attaquer sans relâche. Cauchemars.
Je reprends ce carnet, pour y conter mes peurs.

Dieu, comment ai-je eu la force de lever mon épée ?
Est-ce Alycianne, pressée contre moi, qui m'a donnée cette force ? Ou simplement l'éclat de la lune, sur l'autre arme en face ?
Je levai mon épée. Elle rencontra l'autre en un bruit qui résonna dans les collines environnantes. Alycianne laissa échapper un gémissement, tandis qu'elle se cramponnait à mes jupes. Je hurlai un "Cours ! Cours, Alycianne !" tandis qu'une deuxième fois, je contrai l'attaque de la femme. Je me surprends encore en y repensant ces quelques mèches de cheveux bruns qui volèrent quand elle se fendit pour m'atteindre. Alycianne tira sur ma jupe, terrorisée. Je perdis l'équilibre, fit un pas sur le côté pour me rattraper. Ce fut probablement ce qui me sauva. L'épée siffla à quelques centimètres de ma taille, alors que je m'étais reprise et lançait la mienne vers la jambe de la femme. Le fer mordit la cuisse, et la brigande poussa un cri surpris. Son épée tomba au sol, claqua contre les pierres. Je posai le pied dessus, puis la saisit.

Tout était allé si vite. Crispées sur la blessure, les mains de la femme serraient la cuisse rouge de sang. Elle me lança un regard amer, avant de prendre son bouclier et en s'appuyant dessus, elle se releva et partit clopinclopant sur le chemin.
Je ne cherchai même pas à l'en empêcher. Les deux épées avaient glissé de mes mains, et une petite menotte chaude s'était glissée dans l'une d'elles.
Je baissai la tête. Alycianne pleurait. Elle pleurait silencieusement, la tête appuyée contre mes jupes, son autre main fourrée dans sa poche -remplie de cailloux je le savais-.
Et chose que je n'avais faite depuis des lustres, je la pris dans mes bras. Sentir cette vie contre soi, sentir qu'elle a besoin de soi, ça fournit une énergie que je crois rien d'autre ne pourrait donner. J'étais mère.

Mon épée encore teintée de sang revenue au fourreau, ma fille dans les bras, je nous cherchai un coin douillet pour dormir. Une cavité dans le sol, près d'un arbre, me parut non pas douillette mais un coin sûr. Je nous y allongeait, et nous dormîmes toutes deux je crois très peu. Mais chacune agrippée à l'autre comme si le contact pouvait effacer ces quelques minutes d'horreur.

J'ai peur. Peur de la perdre. Juste un voyage, comme un autre. L'aventure, m'étais-je dit. N'avais-je pas oublié qu'une vie si chère à mon cœur était entre mes mains ?
Mais en ce cas, je devrais rester à Sémur, à attendre qu'elle grandisse, sans découvrir tout ce qui l'entoure ? Pourrais-je moi, rester planquée dans un village, à regarder le temps passer ?

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